ALLISON CORDNER: HOMMAGE AUX BIKERS

En octobre dernier, au Babes Ride Out 4, les filles faisaient la queue au kiosque Red Wing Heritages pour un portrait ferrotype par l’américaine Lindsey Ross. Heureusement, on n’a pas besoin d’aller jusqu’en Californie pour avoir notre exemplaire nous aussi. Allison Cordner, une photographe de Montréal, s’intéresse à ce procédé photographique depuis maintenant 3 ans. Son nouveau sujet de prédilection? Les bikers. Portrait d’une femme qui n’a pas peur des défis.

La genèse d’une passion

D’aussi loin qu’elle se rappelle, Allison Cordner a toujours été fascinée par l’univers de la moto. Toute petite, elle regarde passer les groupes de motards dans son patelin de Lanaudière avec fascination. Elle est subjuguée par l’aura mystérieuse qui plane au-dessus de leur têtes. Qui sont ces personnes à l’allure rebelle ? Rebelles, elles ne le sont probablement pas toutes, mais dans la tête de cette fillette blonde, elles représentent certainement la liberté et l’indépendance. Ses parents ont une tout autre opinion. Ils les voient plutôt comme des voyous peu recommandables, et surtout, loin d’être un sujet d’intérêt pour une jeune fille. Bien sûr, l’interdit reste l’interdit : c’est drôlement attirant pour une fillette qui a du caractère et envie d’indépendance. Elle reste marquée par cette image de hors-la-loi sur deux roues qui s’est ancrée doucement dans ses souvenirs.


 Du numérique au ferrotype

Dans la vingtaine, Allison se cherche un peu. Après avoir obtenu un diplôme en Danse contemporaine à la faculté des Beaux-Arts de Concordia, elle fait un virage à 180 degrés. Elle s’inscrit en Photographie commerciale au Collège Dawson, se marie et donne naissance à deux beaux enfants aussi blonds qu’elle. À cette époque, elle vit intensément ces nouveaux défis : la vie de famille et son métier de photographe où elle se spécialise dans la photographie familiale. En 2014, en naviguant sur le web, elle tombe par hasard sur une photographie qui la fascine. Une image monochrome sur plaque de métal, un procédé qu’elle ne connaît pas. Elle fait une recherche sur Ed Ross, l’auteur de l’image, et découvre le ferrotype. « J’ai tout de suite eu envie d’explorer ce procédé, mais je me suis vite rendue compte que le type d’appareil nécessaire pour ce genre de photo ne se trouve pas dans le premier magasin grande surface. Ça demande un peu de recherche, révèle-t-elle. C’est, en ligne, à Modena en Italie que j’ai trouvé l’appareil dont j’avais besoin.» Et pas n’importe quel appareil! Une caméra faite à la main et sur mesure pour elle parGibellini Projects & Co. Une fois bien équipée, elle s’inscrit à un cours intensif à New York au Center for Alternative Photography. De retour à Montréal, ses essais ne sont pas concluants. À l’ère du numérique, le ferrotype est un procédé lourd et onéreux qui demande à être apprivoisé : connaissance en chimie, patience et minutie sont quelques-uns des éléments indispensables pour quiconque veut se lancer dans l’aventure. Devant la complexité de la technique, elle s’inscrit à un cours de perfectionnement. Elle part à Paw-Paw en Virginie-Occidentale pour affiner son art auprès Lisa Elmaleh, une photographe talentueuse qui a été, entre autre, l’assistante de Joni Sternbach à qui on doit la magnifique série Surf Site Tin Type, un hommage au surf, à son mode de vie et aux gens qui le pratiquent.

Malheureusement, toutes les images qu’Allison a prises lors de son stage ont été volées dans sa voiture le soir de son retour à Montréal… «J’étais vannée, il se faisait tard. J’ai tout laissé dans la voiture. C’est dommage parce que ce sont de très beaux souvenirs qui ont disparu, mais ça aurait pu être bien pire! Ma caméra aussi était dans la voiture, mais les voleurs ne l’ont pas prise», nous dit-elle avec soulagement.


Et la moto dans tout ça?

À 32 ans, le rêve américain de cette anglophone s’écroule. «Je ne me reconnaissais plus dans la relation avec mon conjoint, mais aussi dans tout l’univers qui m’entourait. Je me voyais trop conformiste. Je sentais que j’avais perdu la flamme qui m’animait, mon essence… » Elle se sépare, tourne en rond et part à la recherche de son «moi» perdu. Un matin de février 2015 – un matin en apparence comme les autres – elle se réveille avec cette idée bien précise : elle veut faire de la moto. Ne se laissant pas intimider par ses 4’11’’, le café du matin à peine terminé, elle appelle chez Montréal Moto Pro et s’inscrit sans plus tarder à un cours. La semaine suivante, elle découvre qu’une nouvelle branche du réseau international de femmes motocyclistes, The Litas, s’organise à Montréal. «Quelle coïncidence ! Les astres sont alignés pour moi, c’est vraiment le bon moment, me suis-je dis.»

Rapidement, elle fait son entrée dans la communauté émergente. «The Litas Montréal, mais aussi des organisations comme Oneland, Doomsday Machine et #themotosocial ont été des groupes facilitateurs. J’ai été très bien accueillie. C’est dans des rassemblements comme la Raven’s Run et La Run que j’ai développé un intérêt pour la photo entourant la culture moto. J’ai amené mon appareil numérique dans presque tous les événements auxquels j’ai participé», dit fièrement la nouvelle initiée. Elle a rapidement eu l’intuition que le ferrotype pourrait intéresser les bikers.

«Pour moi, les bikers, hommes ou femmes, sont des gens authentiques et vrais qui ont une histoire à raconter. Le ferrotype, par son contraste et ses imperfections, est un médium qui transmet cette sincérité sans artifice en ajoutant cette touche obscure propre aux bikers», nous révèle celle qui conduit aujourd’hui une Harley 48 1200cc. Ici, pas de Photoshop pour atténuer les traits, ils sont au contraire accentués naturellement par le procédé. C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs motards craquent pour le ferrotype : le côté rough du rendu donne un air de hors-la-loi à quiconque se fait tirer le portrait. À bien y penser, un peu comme dans les souvenirs de son enfance.


Des femmes inspirantes

« Lorsque j’étais jeune, mes parents ne voyaient pas d’un bon oeil mon intérêt pour la moto, mais ma grand-mère était motocycliste, tu sais. Elle faisait de la moto à une époque où très peu de femmes avaient le culot de défier la morale bien pensante en enfourchant une deux roues. Je n’ai pas connu ma grand-mère et il ne reste pas beaucoup de souvenirs de son époque. J’aurais aimé avoir une photo d’elle sur sa moto. Un ferrotype aurait été parfait!» Effectivement, les photographies constituent de vrais trésors familiaux et la durée de vie du ferrotype semble éternelle. On retrouve dans plusieurs musées des images datant du milieu du 19esiècle encore en excellent état. À notre époque du «consommez-jetez», la perspective de léguer une photo à sa descendance est très intéressante. C’est dans cet esprit qu’elle s’est inspirée de sa grand-mère pour sa prochaine série photos : un hommage aux femmes motocyclistes.

«Un jour, je reçoisl’appel de Sherin Al-Safadiqui fait appel à mes services de photographe. Cette femme a une position enviable dans l’industrie pharmaceutique. Elle veut des portraits professionnels pour le travail, mais aussi d’autres pour immortaliser ses passions. À ma grande surprise, elle me demande une série de photos pendant qu’elle pratique le kick-boxing et une autre sur sa Ducati. Derrière son image de femme d’affaires sérieuse, elle s’avère être une redoutable adversaire de kick-boxing et une motocycliste qui n’a pas froid aux yeux. À ce moment, je n’avais pas encore de moto. J’étais autant captivée qu’intimidée par cette femme. Le jour de la séance, elle m’a fait essayer sa monture et, voyant mon intérêt, m’a vivement encouragé à aller au bout de mes rêves. Elle a été très généreuse avec moi. Sa rencontre m’a beaucoup marquée.» Ce sont des femmes comme elle et sa grand-mère qu’Allison veut mettre de l’avant avec ce projet hommage, des femmes inspirantes qui prouvent que tout est possible si on a la volonté d’aller au bout de ses rêves. Cette série est en préparation, elle espère une exposition à la fin de la saison prochaine.


 Communauté et expérimentation

Le prochain défi ? «Je veux augmenter ma présence dans les événements ! Cette année, je suis allée à la rencontre des motards au Salon de la moto de Montréal en offrant des portraits sur place. J’ai adoré cet accès direct à la culture moto et cela a été très bien reçu. J’aimerais répéter l’expérience l’année prochaine. Je suis présentement à la recherche d’une remorque fermée pas trop chère pour pouvoir développer des ferrotypes sur place aussi lors des événements extérieurs pendant la saison. Tu passeras le mot aux lecteurs, il y a peut-être quelqu’un qui a un dealpour moi», me dit-elle dans un grand éclat de rire.

Mais là n’est pas son véritable défi ! «J’explore en ce moment un moyen de transférer la technique du ferrotype sur des pièces de moto. Je commence par expérimenter sur des petits morceaux, mais, éventuellement, je rêve de faire ça sur un réservoir à essence, par exemple! Ce serait génial et complètement unique.» Y arrivera-t-elle ? Après avoir découvert son parcours, on peut s’attendre à ce que le défi soit relevé assez rapidement et avec brio.

Vous désirez vous offrir un cadeau unique? Allison offre des séances de photos solos, en duo avec ou sans moto dans son studio de St-Henri. Pour en savoir plus, visitez allisoncordner.com ou sur Facebook @AllisonCordnerVintage.

Un peu d’histoire

Le ferrotype ou tintypeen anglais est un procédé photographique monochrome sur fine plaque métallique laquée de noire introduit par Adolphe-Alexandre Martin en 1852. La plaque est placée dans l’appareil et une émulsion au collodion produit, après un temps d’exposition, une image positive directe. C’est cette image unique qui sera remise au client. Contrairement au procédé argentique, il n’y a pas de film négatif. À l’époque, sa solidité et son procédé simple, rapide et peu coûteux ont séduit les photographes ambulants et les militaires de la Guerre civile américaine.

 

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